top of page

Prochaine destination.

  • Photo du rédacteur: NH
    NH
  • 5 janv. 2020
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 janv. 2020

Je suis là à me morfondre de douleur à la vue de cet objet. Cela fait environs deux jours que je suis dans cette chambre, je n’en suis pas encore ressortie depuis. J’ai faim. Ma mère va revenir dans quelques instants, il lui en faudra peu pour remarquer que le reste de la maison n’a pas connu ma présence depuis sa sortie. Je n’arrive pas à comprendre à quel point j’ai pu détester cet objet et que maintenant je n’arrive pas à m’en détacher. Cet objet me paraissait tellement d’une ridiculité totale ! Mais aujourd’hui c’est la seule chose signifiante qu’il me reste de lui.

J’en veux à la lecture, j’en veux à cette bibliothèque, j’en veux à Ian, j’en veux à tout le monde mais par-dessus tout, je m’en veux. Je ne l’aimais pas, je n’arrivais pas à lui pardonner le fait qu’il ait été, et peut-être qu’il soit encore, le préféré de maman. Elle et papa se sont séparés quand j’avais six ans, en fait, papa a demandé le divorce et est allé vivre jusqu’en Italie, à des lieux de ce trou perdu où nous vivons. Je lui en ai tellement voulu ces onze dernières années. Maman a été pour nous une héroïne, elle a su nous éduquer seule. Elle a toujours été ma préférée. Mais elle, préférait mon frère, alors que mon père, il m’aimait moi ; ce qui est tout à fait normal puisqu’il ne l’a pas vraiment connu.

J’ai rencontré Ian dans un restaurant, un pour bourgeois je veux dire. Pour un entretien de travail, ma mère a dû aller à cet hôtel, et me laisser dans le restaurant, un cappuccino à la main, c’est ma boisson préférée (depuis que papa nous a laissé, le cappuccino et la musique ont été mon réconfort). Sur mon téléphone, je regardais des orchestres jouant des sonates, des quatuors etc… Mon 17e anniversaire approchait et je n’avais encore aucune idée pour le jouir calmement, je déteste les fêtes animées. L’an d’avant, maman m’avait promis de m’emmener à la plage pour passer la nuit, jusqu’à présent j’attends. Vous savez, les pires déceptions de mon enfance ont commencé par des promesses trop vraisemblables. Mais cette fois-ci j’y ai cru, à tort, malheureusement. Mon cappuccino était sans sucre, je l’aime bien comme ça, mais je voulais le prendre avec du sucre ce jour-là.

Puis-je avoir du sucre s’il-vous-plaît ? Oui, oui, du sucre de cannes. Non, pas de sirop de chocolat. Ok, cela suffit, je ne les aime pas trop sucrés. Ah ! vous non plus ? Oui c’est bien vrai. Le sucre en cube, c’est le meilleur, n’empêche que la canne soit ma préférée. Oui, oui merci, vous aussi. Chiche ! Merde ! Mais vous ne regardez pas où vous mettez le pied ? Des serviettes s’il-vous-plaît.

Je m’excuse mademoiselle, j… je ne l’ai pas fait exprès.

Ouais ça je sais, mais vous vous fichez que….. chiche, allo maman ; comment ça vient te trouver ? Mais je ne connais même pas cet hôtel, le *** (nom de l'hôtel), et si je me perds, et si…, non mais ça ne va pas ? Tu sais bien que j’ai rendez-vous au conservatoire. Si je veux conserver le titre de première chaise, je dois être présente…. Mais qui va m’emmener dans ce cas ? arghhhh…..

Ça ne va pas ?

Comment ça, ça ne va pas ? Tu me jettes du café dessus, je vais être en retard pour un rendez-vous, je viens de raccrocher au nez de maman, mes rêves sont détruits, je ne sais pas comment passer mon 17e anniversaire, et tu oses me demander si ça ne va pas ?

Je ne savais pas… désolé. Vous avez l’air de passer une sacrée journée.

Oui, oui, je suis désolée pour mon attitude.

Vous avez parlé de ne pas connaître l’hôtel ***(nom de l'hôtel)?... J’y vais justement, je pourrais vous indiquer la route.

Oui s’il-vous-plaît.

On a fait la discussion jusqu’à l’hôtel. Son père tenait une bibliothèque. Il était un fanatique de la lecture. Il connaissait tellement d’œuvres et d’auteurs. Moi j’ai rarement tenu un livre en main, ou même terminé un. Il y aurait une journée quelconque pour les littéraires à la bibliothèque de son père, une journée pour littéraires bourgeois je veux dire. Il m’y a invitée.

Grâce à lui j’ai découvert le monde littéraire. Je n’aurais jamais pu imaginer la beauté et la profondeur des livres. Ian et moi avions dorénavant rendez-vous tous les samedis après-midis à ce restaurant, j’avais accepté de travailler là-bas la matinée, j’étais la serveuse de cappuccino. Il venait me chercher dans sa voiture, il avait à peine dix-huit ans, il l’a reçue pour son anniversaire. Et on allait à la bibliothèque. Mais j’ai été virée du restaurant pour avoir injurié un client malheureusement. On devrait avoir un autre lieu de rendez-vous. Tout près de la maison, il y avait une station, prochaine destination, on avait décidé de s’y rencontrer. On allait à une bibliothèque différente chaque samedi depuis mon renvoi. Maman pensait que j’allais toujours au conservatoire mais j’étais dans des bibliothèques de renommée avec le fils d’un bourgeois. Ian était devenu mon meilleur ami en peu de temps. On était si différents et pourtant si semblables. Tant de choses nous séparaient et on était pourtant si proches. Le jour de mon anniversaire, j’avais déjà perdu espoir, il m’a emmenée à la plage, j’ai écouté de la musique classique, lu des classiques. Je me suis relaxée. Tout ce qu’il me fallait. C’était vraiment mon meilleur ami. Maman elle, n’avait aucune idée d’où j’étais.

Maman m’a appelée pendant que j’étais à la plage, j’étais supposée surveiller Armand, mais je devais sortir donc, je l’ai laissé chez la voisine, ce n’était pas la première fois.

Après avoir décroché le téléphone, ma m'annonça que m’a la voisine lui avait téléphoné pour lui annoncer la terrible nouvelle. Elle m’a dit qu’il était mort. Mort ! Que mon frère était mort en tombant dans la piscine de chez la voisine…

Mon 17e anniversaire. La mort de mon petit frère. J’ai toujours souhaité sa mort, mais je m’imaginais réagir autrement. C’était de ma faute. Sa Grenouille rose, c’était son porte bonheur, je l’avais jeté à la poubelle, cet objet était ridicule. C’est de ma faute. Je m’en veux. Ian a essayé de me consoler mais je le voyais coupable, fautif, complice d’un meurtre qu’on n’a pas commis.

Je dois payer pour cela. Maman va rentrer, elle avait un rendez-vous avec grand-mère. Un inconvénient quelconque lui a empêché de rentrer, mais maintenant, elle rentre. Alors il faudra que je me dépêche. Dague de maman, c’est toi qui te chargeras du travail. Grenouille De Armand, mon frère, soit mon souvenir de lui à jamais. Une douleur pénètre mes veines, je n’avais jamais imaginé passer au grand au-delà comme cela. Mais qu’importe. Je prends une dernière dose de morphine avant la route, ces derniers jours, je me droguais. Je sens mes forces me quitter, mon sang, couler, mais tout-à- coup il faut que je demande pardon à ma mère. Il le faut. Mais quelle idiote suis-je ! Je m’en vais très mal maintenant, je ferme mes yeux, petit à petit. ..

Mais qui vient là ? C’est ma mère. Un dernier sursaut de courage me pousse à prononcer les syllabes qui me paraissent lourdes de ce mot qui doit me repentir. J’ai vu ma mère gesticuler, appeler je ne sais qui ou je ne sais quoi. Mais j’ai reçu le regard que j’ai toujours attendu, celui d’une mère qui aime son enfant d’un amour pur et sincère. Je l’ai eu ne serait-ce qu’un instant avant une autre vie. Une prochaine destination.


Maikhena Ronive Pierre-Louis


 
 
 

Comments


Rejoindre mes abonnés

Merci pour votre envoi !

© 2023 par l'Amour du livre. Créé avec Wix.com

bottom of page