Elisabeth était son nom
- NH
- 15 mai 2022
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Elisabeth était son nom, c’est le mien aussi. Pour être plus claire; c’était notre prénom commun, j’aurais donné le ciel pour porter son nom, ou pour qu’elle porte le mien, ou même que nous portions les deux, que sais-je? Elisabeth et moi ne faisions qu’un. Elle était toujours assise au même endroit le mercredi, dès que je l’ai vu pour la première fois, j’ai su qu’elle était cette partie de moi que j’ai longtemps cherchée désespérément. Je n’ai jamais cru en l’âme sœur, j’ai toujours détesté les discours niais de mortels désireux de rencontrer leur moitié, je clamais à qui voulait l’entendre que j’étais trop exceptionnelle pour être la moitié de quelqu’un, j’étais entière et le monde n’avait d’autre choix que de l’accepter. Et puis un jour, Élisabeth m’a souri, un de ces sourires chaleureux qui te remplis de grâce; à cet instant précis, à défaut d’être sa moitié j’aurais offert le monde pour n’être qu’une infime partie d’elle. À 19 ans, on croit avoir assez vécu, on se persuade que notre cœur a connu l’amour tout autant de fois qu’il a été brisé, on est blasé et vide. Ce mercredi de pluie, un soleil est entré dans ma vie; Elizabeth était assise sur ce même banc, trempée alors que tout le monde cherchait à s’abriter, je n’ai pas pu résister à la nécessité d’aller la rejoindre alors que l’on avait jamais parlé avant. Je n’avais pas cherché à comprendre pourquoi elle ne bougeait pas, je me suis juste assise à ses côtés, j’ai fermé les yeux et l’eau a commencé à ruisseler sur mes joues, pluie ou pleurs? Peut-être les deux, quoi qu’il en soit, depuis ce jour-là, on ne s’est jamais quittés. Quand je l’ai trouvée, je me cherchais désespérément. Je posais des questions pour entendre les autres me rassurer alors que je savais pertinemment que les réponses avaient toujours été là. Personne ne pouvait comprendre ce que j’avais à expliquer; dans un monde où tout le monde est obsédé par l’envie d’appartenance, je ne correspondais à rien de tout ce qui était décrit, et on ne pouvait créer une catégorie rien que pour moi, et à ce moment là je n’avais pas encore compris que je n’en avais pas besoin non plus. -Elizabeth tu m’as sauvée, disais-je souvent -Il fallait que je le fasse, je n’aurais pas pu vivre sans toi Elizabeth, me répondait-elle Je souriais bêtement dans ses bras après l’amour, je me rendais compte de la chance que j’avais et je profitais de chacune de ces secondes où loin des yeux, nous étions plus que meilleures amies. Les autres ne pouvaient pas comprendre ce qui nous liait, ils étaient trop occupés à se détester pour voir deux jeunes femmes s’aimer. Elizabeth disait toujours que j’étais sa reine et qu’elle ferait tout pour mon bonheur, de mon côté, c’était mon évidence. Je n’ai jamais su faire les choses à moitié, c’est pour ça que j’ai aimé Elizabeth éperdument, de toutes les fibres de mon être, elle était moi, et j’étais elle. J’aurais pu me mettre le monde entier à dos si cela me garantissait de sentir son corps contre le mien, j’ai renoncé aux croyances et aux principes pour vivre cette histoire qui du jour au lendemain se mua en souvenirs délicieusement douloureux. Ce banc était devenu notre maison, “Elizabeth mon amour “ y était gravé, on faisait tout là, je suis rentrée dans son espace personnel et elle m’y a accueillie comme si ma place avait toujours été là. La vérité c’est que personne ne m’a aimé comme elle et personne ne m’a détruite comme elle aussi d’une certaine façon. Ce qu’on partageait était tout aussi pur que toxique, on acceptait le fait qu’on était l’une à l’autre peut-être un peu trop aisément; je ne la voulais que pour moi et j’aimais cette façon qu’elle avait de me réclamer. Si on ressent une douleur fulgurante quand on voit la personne qu’on aime regarder une autre même quand on sait qu’elle n’a d’yeux que pour nous, il y’a forcément un problème. Ce problème, nous l’avions toutes les deux et on partageait tout sans oublier nos douleurs, si j’ai mal, alors ma seule satisfaction était de blesser Elizabeth, elle faisait pareil, les réconciliations torrides nous réconfortaient. Quand je regarde ce banc maintenant , ce banc où Elizabeth ne reviendra plus, je repense à chaque pas de danse que nous avions effectué, chaque baiser et chaque exercice d’un devoir résolu, on partageait tout....à peu près. J’ai toujours cru que nous étions une seule âme accidentellement fractionnée sur le chemin de la réincarnation, alors pourquoi est-elle partie sans moi? C’est injuste que je sois celle obligée d’assister à ce spectacle macabre qu’est la vie sans elle, je n’aurais pas non plus aimé qu’elle soit à ma place, c’est pour ça qu’il fallait qu’on soit ensemble....oh Lisa, pardonne-moi; j’espère que j’aurai le courage de te pardonner aussi. Les souvenirs sont pesants, les nuits sont longues, le passé est une pilule qui me reste en travers de la gorge. Aujourd’hui, l’eau a coulé sous les ponts, et pourtant chaque courant me ramène à elle, je n’ai même pas envie de nager, tout ce que je veux c’est m’en aller, aller dans son royaume où elle m’attend forcément car on s’était juré l’éternité.
Steff Dutreuil
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