Hier, Aujourd’hui,Demain
- NH
- 18 avr. 2021
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 21 avr. 2021
Que pourrais-je dire?
Ma capitale a pour réputation de laisser tout le monde motus et bouche cousue, ce n’est pas sans raison, la puanteur qui s’y dégage ferait sûrement chemin tout au fond de n’importe quel œsophage fragile.
Quand je me suis réveillée hier, le bienfaiteur qui me dépose toujours à mi-chemin de l’université à dû partir plus tôt, je me suis donc retrouvée à sillonner à pied les routes sales et mal entretenues de Port-au-Prince, j’ai tenu mon sac fermement en tournant la tête à gauche à droite tel le vieux ventilateur de ma voisine, quand j’ai pu trouver un tap tap après m’être fait insulter par l’homme qui a prétendu l’avoir fait signe avant moi, j’ai failli crier Alléluia. Après une belle heure passée assise en plein soleil car étant à l’extrémité extérieure du tap tap, j’allais descendre, mais quand j’ai vu l’immensité du reste du chemin à parcourir jusqu’à la prochaine station de Pétion-Ville, je me suis ravisée! J’ai furtivement consulté ma montre, je ne voulais pas que ces inconnus la voient, ils pourraient me casser le bras juste pour être sûrs de l’avoir, j’ai remarqué avec soulagement qu’il n’était que 8 heures 30 du matin, « Dieu merci, j’ai cours à seulement 10 heures, et avec l’évaluation de cet embouteillage, par chance je n’aurai qu’une heure de retard! », j’étais rassurée, donc j’ai commencé à élaborer un plan d’excuse pour convaincre mon professeur de dessin de me laisser assister au reste du cours, mais c’était évidemment sans compter sur cet homme qui ne vit pas d’endroit plus approprié pour mettre ses pieds sales que sur les miens, je l’ai toisé offusquée; « si w te bezwen alèz ou te sipoze achte machinn pa w, lanmèd! » m’a-t-il dit.
Entre tous ces gens pressés et sur le qui-vive, le plus lent se faisait sauvagement transporter par ce courant humain, je me suis donc hâtée vers ce bus de Canapé-Vert, cette fois-ci par contre je me suis assurée d’être bien à l’abri du soleil car la camionnette précédente m’avait servie de leçon, mais quand le bus devait partir, deux nouveaux hommes baraqués ont insisté pour y monter malgré les protestations de nombreux passagers sur le manque de place, ils ont préféré faire le trajet debout au lieu de descendre, je ne suis pas dupe, je me suis sagement levée, quoique tremblante, j’ai fini par sortir de ce maudit bus non sans avoir frôlé l’un de ces deux hommes, j’avais bel et bien raison, il portait une arme, je l’ai senti, tous les autres allaient donc se faire braquer...pourquoi ne leur ai-je pas averti?? Parce que c’est Port-au-Prince, c’est ma capitale, si tu parles tu meurs, c’est chacun pour soi, on ne vit pas l’histoire des trois mousquetaires chez nous!
Port-au-Prince ne fait pas de cadeau, c’est la première leçon que nous tous ici avons eu à apprendre dès notre plus jeune âge, il faut être fort, il faut savoir marcher vite, il ne faut jamais trop se parfumer ou être trop propre, si on pense que tu es riche, tu es sous-scellé, marqué, en danger. Ma ville d’aujourd’hui est ténébreuse et nauséabonde, quand on nous fait honneur de l’électricité, tout le voisinage crie un “weeeeee” en chœur, tout cela est bien triste.
Mon professeur ne m’a pas laissé entrer, je l’ai pourtant compris, j’avais finalement eu deux heures de retard, il y avait une manifestation sur Canapé-vert, sous les barricades et les menaces, nous avions dû opter pour un autre chemin, je voulais tellement arriver à l’heure que j’ai pris un taxi moto avec les seules 100 gourdes que j’avais; j’ai versé une larme quand j’ai dû me résoudre à ne pas suivre le cours de dessin mais je ne saurais dire est-ce à cause de la faim qui me tenaillait les entrailles ou alors toutes les sacrifices que je venais de faire qui pourtant n’avaient servi à rien.
Ma ville d’aujourd’hui marche impitoyablement sur les sacrifices, tu ne sais jamais ce que demain te réserve mais tu sais cependant que cela a de forte chance de ne pas jouer en ta faveur, ma ville est effrayante, pleine de vice, les gens s’entretuent pour survivre, quelle belle ironie !
Je suis rentrée à la maison en sueur, je me suis vite précipitée dans la salle de bain pour me laver de toutes les saletés accumulées mais aussi à cause de cette fameuse « gratèl » qui fait rage, j’ai même entendu dire que certaines personnes en mouraient. J’ai encore repensé à cette journée perdue, sans rien réaliser et surtout tellement risquée, eh oui, sortir dans ma ville est un risque ! Chaque personne ici sait pertinemment qu’elle pourrait ne pas rentrer quand elle met les pieds dehors, mais si tu restes les fesses posées chez toi, c’est une certitude, tu crèveras de faim...
Port-au-Prince est une terre glissée, au moindre pas, tu tombes comme une masse et tu te casses la gueule, les kidnappeurs sont à l’affût de proie, personne n’est épargné, les enfants sont violemment happés des bras de leurs mères, des jeunes filles se font violer tuer puis jeter sur des piles de détritus comme si elles ne valaient que ça.
Ma ville d’aujourd’hui est maudite, certains disent même que c’est dû à la colère de nos ancêtres qui sont déçus par nos choix de dirigeants médiocres et vicieux, il n’y a pas un pour rattraper l’autre, bossant pour des intérêts personnels, ils se fichent de savoir que nous mangeons tant que leur foie gras est frais.
Je n’ai pas pu dormir de toute la nuit, j’étais encore là à me demander ce qu’ils ont fait de Port-au-Prince, c’est vrai que je ne l’ai jamais connu autrement cependant j’ai eu la chance d’avoir trouvé un vieux livre dans la bibliothèque de mon père, ma capitale y est décrite avec de superbes photos, en ce temps là, les places étaient magnifiquement décorées d’arbre et de fleurs, pouvait observer des gens se prélasser au calme, les montagnes étaient d’une beauté flamboyante, les rues propres m’ont subjuguées et les camionnettes multicolores avaient l’air d’être en vie, le Port-au-Prince d’hier était princier, le Port-au-Prince d’hier donnait envie de rester là et ne jamais penser à partir, les gens vivaient en paix, les gens avaient le temps de rire. Les vieux disent que dans ma capitale d’hier, les gens ne se hâtaient jamais, il y avait toujours quelque chose de nouveau à comtempler et à aimer, les gens prenaient soin l’un de l’autre, on m’a dit que le Port-au-Prince d’hier puait l’amour; mais alors, que s’est-il passé entre hier et aujourd’hui ? Qu’avez-vous donc fait chers grands-Parents?
Chez nous les adultes ont cette fameuse tendance à accuser la jeunesse de tous les maux, ils ont le toupet de nous mettre le déclin de la ville sur le dos, doux Jésus ! Quand assumeront-ils? Cher prédécesseur, l’héritage que vous nous avez laissé est l’enfer!
Qu’adviendra-t-il de ma capitale? Demain, ma ville croulera probablement sous les déchets, les plus riches partiront, les pauvres deviendront cannibales, un point c’est tout.
Hier soir je n’ai pas arrêté de penser aux potentielles solutions mais qui suis-je ? Est-ce moi qui vais régler les problèmes de cette capitale ? De cette ville? De ce pays ? Peut-être bien, si mes frères et sœurs y mettent des leurs. Demain est incertain pour notre capitale et sa chance est peut-être là, et si nous faisions de cette incertitude un résultat positif ? Seigneur!! Que dis-je ?
J’ai envie de croire que Demain est signe d’espoir, j’ai envie de croire que demain sera fait de mieux, j’ai besoin de croire que tous mes efforts ne sont pas voués d’avance à l’échec juste parce que je suis dans la mauvaise ville, j’ai besoin de croire que ma ville d’aujourd’hui ne me tuera pas, il faut que je crois que je verrai ma ville de demain et qu’elle sera belle!
Demain, ma ville sera-t-elle encore gouverné par ces parlementaires sanguinaires? Ma génération se battra-t-elle pour une ville meilleure où l’on pourra sortir sans prendre la température de la ville? Demain, nos ministres armeront-ils encore nos enfants dans les quartiers populaires? Les Ghettos respiront-ils enfin? J’ai envie d’y croire, j’ai ce besoin fondamental d’y croire parceque sinon je ne mettrai pas les pieds à l’université ce matin, je ne réveillerai pas mon petit frère pour le préparer pour l’école si je n’y crois pas.
Je sors de mon lit fatiguée par cette nuit sans sommeil, je me lave les dents vite fait et m’assure que tout est prêt pour l’école de mon petit frère, quelques minutes plus tard j’entends le klaxon de mon bienfaiteur, je prends mon sac à la volée et cours m’engouffrer dans la voiture; la ville est encore endormie à cette heure si matinale, mais on voit de temps en temps une femme avec une cuvette sur la tête partant se trouver une bonne place au marché afin de pouvoir gagner sa pitance, je souris, elles sont probablement la force dont nous avons besoin pour espérer bâtir notre ville de demain différente de celle d’aujourd’hui, elles ne lâchent jamais rien, jusqu’à leurs derniers souffles elles se battront, je le sais, la preuve est qu’elles sont là ce matin, seules dans ces rues vicieuses, elles savent qu’une balle peuvent venir se loger dans leur tête a n’importe quel moment mais elles sortent quand même, ce sont des soldats que Port-au-Prince a créé, c’est triste.
Demain, mes enfants seront peut-être fiers de moi, nos enfants seront peut-être fiers de nous, qui sait? Fiers que nous ayons réalisé l’impossible, fiers que nous soyons parvenus à allumer Port-au-Prince. Je rêve de voir ma ville parvenir à nourrir ses enfants. Peut-être que demain, les gens qui sont censés nous protéger et nous servir, en l’occurrence les policiers, arrêteront de nous tuer parce que nous voulons vivre dignement.
Demain, Port-au-Prince rendra peut-être Justice à ce Jeune homme tué sans vergogne au sein de sa faculté ou encore à ces deux jeunes danceurs brûlés vifs, je me permets de rêver que ma capitale sera équitable, que nos juges ne seront pas corrompus, que nous pourrons enfin respirer.
La voiture s’arrête et me tire de mes rêves qui probablement ne se réaliseront jamais, je descend et m’affaire à trouver un taxi moto, à cette heure là, les jeunes filles ne marchent pas à pied à Turgeau, ni dans ma capitale d’ailleurs, on risque de se faire violer, les gens ne jure que par « Sa w pran se pa w » si tu ne fais pas attention.
J’espère que Demain, ma capitale veillera sur ces citoyens, je souris en pensant que nous méritons bien un demain meilleur, ce peuple est trop beau et courageux pour mourir sans honneur, nous sommes des soldats, nous devons nous battre pour ce demain que nous rêvons, « Grenadye a laso », battons nous pour Dessalines et Toussaint, si nous avons pu vaincre la grande Armée de Nappoléon Bonaparte, faire revivre Port-au-Prince ne devrait pas être impossible, demain ma ville sera belle.
Je trouve enfin un taxi, je monte rapidement, nous commençons à rouler prudemment jusqu’à ce qu’un bruit assourdissant nous fasse sursauter, quelque part aux environs, ma capitale d’aujourd’hui vient de tuer un de ces enfants.
Une personne de plus qui ne verra pas demain ce Port-au-Prince, pour lequel je m’engage à l’instant de me battre!
À condition de ne pas mourir aujourd’hui.
Steffane Dutreuil
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